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Dénaturalise-t-on en fonction du pays de naissance ?

 

Dans leur activité hebdomadaire, au cours des examens des dossiers puis lors des séances, les membres de la Commission appliquent une grille de lecture raciale qui se traduit par l’adoption d’un système de valeurs hiérarchisé construit autour de l’origine. La nationalité d’origine et/ou le pays de naissance deviennent des indices des potentialités d’assimilation à la communauté nationale. Les premiers avis donnés sur les dossiers des naturalisés par la Commission de révision s’insèrent complètement dans ce schéma (tableau 14).

Tableau 14. Les avis de la Commission selon le lieu de naissance du chef de ménage (1940-1943)

Avis de la Commission

Maintien

Enquête

Retrait

Total

France

19

5

 

24

Belgique

18

3

 

21

Europe du Nord (Allemagne, Autriche, Luxembourg)

22

10

 

32

Italie

161

59

3

223

Europe du Sud (Espagne, Grèce, Portugal, Monaco)

36

9

1

46

Europe de l’Est (Bulgarie-Roumanie-Tchécoslovaquie-Pologne-Russie-Hongrie)

19

63

13

95

Amérique

2

1

 

3

Afrique

10

9

 

19

Asie

2

11

4

17

Total

289 (65 %)

170 (35 %)

21 (5 %)

480

Source : comptages à partir d’un échantillon de 480 dossiers examinés par la Commission. Les nombres colorés mentionnent les écarts statistiquement significatifs.

Pour les naturalisés dont le chef de ménage est né en France -qui sont pour moitié des femmes réintégrées dans la nationalité française-, l’avis de maintien est nettement majoritaire (19 sur 24). De même, les naturalisés d’origine belge sont très bien évalués par la Commission qui émet l’avis de les maintenir dans la nationalité française dans 18 cas sur 21. Seuls deux des dix-sept naturalisés originaires d’Asie obtiennent un avis de maintien en première instance. Quant aux naturalisés d’Europe de l’Est, les deux tiers font l’objet d’une enquête quand 13 % se voient immédiatement retirer la nationalité… Le critère national complète ainsi les identifications sur des fondements onomastiques pour asseoir une sélection des naturalisés juifs.

Tableau 15. Les naturalisations selon le lieu de naissance du chef de ménage entre 1927 et 1939 : acceptation ou rejet du dossier

Pays de naissance/Décisions du bureau du Sceau

Naturalisations

Rejets

Total

France

27

14

41

Belgique

24

5

29

Europe du Nord
(Allemagne, Autriche, Luxembourg)

39

8

47

Italie

247

20

267

Europe du Sud
(Espagne, Grèce, Portugal, Monaco)

51

6

57

Europe de l’Est
(Bulgarie-Roumanie-Tchécoslovaquie-Pologne-Russie-Hongrie)

100

25

125

Amérique

3

 

3

Afrique

19

6

25

Asie

17

14

31

Total

527

98

625

Source : comptages à partir d’un échantillon de 625 dossiers de demandes de naturalisation déposés entre 1927 et 1940. Chi2***

 

Or ces discriminations, assises sur les nationalités d’origine des naturalisés se retrouvent, à l’évidence, si l’on étudie les pratiques du bureau du Sceau dans les années précédentes. À partir d’un échantillon de 625 dossiers de demandes de naturalisation enregistrés au bureau du Sceau entre 1927 et 1940, il est possible de mettre au jour les hiérarchies sous-jacentes aux pratiques de naturalisations dans l’entre-deux-guerres (tableau 15). 84 % des demandes font l’objet d’une naturalisation, même si c’est après plusieurs tentatives. L’effectif ne tient compte que des décisions finales qui ont eu lieu avant 1940, autrement dit si une demande a fait l’objet d’un ajournement mais obtenu un décret de naturalisation après 1940, il est compté ici comme "rejeté". À titre de comparaison, en 1931, les décisions de rejet du bureau du Sceau représentent 4,2 % des décisions prises, les ajournements qui laissent au postulant la possibilité de déposer quand il le souhaite une nouvelle demande sont 16,9 % ; enfin, les décisions favorables constituent donc 78,9 % des décisions.

Parmi les dossiers déposés par des individus nés en Asie, une petite moitié essuie un rejet. En revanche, les Italiens paraissent nettement favorisés, obtenant pour 92 % une naturalisation. Mais on note également de nets infléchissements. Ainsi, la méfiance développée à l’égard des natifs de l’Europe de l’Est par la Commission ne trouve pas d’écho comparable dans les pratiques du bureau du Sceau avant 1940, puisque quatre cinquième des dossiers enregistrés aboutissent à une naturalisation, soit une proportion comparable à celle des Belges ou encore des Européens du NordOn le voit, la comparaison des deux tableaux illustre une certaine continuité de l’échelle des valeurs des nationalités entre les pratiques du bureau du Sceau avant 1940 et celles de la Commission. – Allemands, Autrichiens, Luxembourgeois. Les évaluations d’assimilabilité mises en pratique sous Vichy diffèrent car elles intègrent une puissante dose d’antisémitisme, qui associe Juifs et originaires de l’Europe de l’Est.

La logique administrative qui reprend ses droits à partir du printemps 1941 s’exerce ainsi dans un sens spécifique, non strictement identique à celui pratiqué pendant les années 1927-1940 : la notion d’assimilabilité s’y décline toujours en fonction de catégorisations nationales, qui dénotent cette fois-ci un antisémitisme administratif, maquillé grossièrement derrière les anciennes catégories d’évaluation administrative du bureau du Sceau. 

 

Publié le 12 juillet 2022, mis a jour le jeudi 22 septembre 2022

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