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Docteur
ENS – PSL (ED 540)
Università di Torino
Clément Poupard est membre associé de l’IHMC depuis mars 2024 et lecteur de français à l’université de Bucarest.
Sujet de thèse : Acteurs, techniques et usage de l’art de la mémoire en Europe occidentale (fin xvie – fin xviiie)
Directrices de thèse : Maria-Pia Donato (CNRS ; ENS Paris), Eleonora Belligni (Università di Torino) et Maria Alessandra Panzanelli Fratoni (Università di Torino)
Date de première inscription : septembre 2020
Date de soutenance : 3 février 2024
Composition du jury :
Cette présentation a été publiée dans la lettre d’information de l’IHMC d’avril 2022.
Ce projet de thèse porte sur les utilisations pratiques de l’art de la mémoire en Europe de l’Ouest entre les années 1580 et la fin du xviiie siècle. La mnémotechnie, ici restreinte à la méthode des lieux (loci), fait alors l’objet d’une production éditoriale considérable (environ deux cents ouvrages pour la période étudiée) et d’un enseignement, souvent informel, dans et autour des collèges, studia, gymnases et universités. Loin d’être une tradition figée, l’art de la mémoire connait des innovations radicales aux xviie et xviiie siècles - tel la substitution chiffre-son – induites par de nouvelles pratiques de l’écrit. Au croisement de l’histoire des savoirs et de l’histoire de la pédagogie, l’étude des pratiques mnémotechniques permet de comprendre le contenu des savoirs mnémotechniques et de mieux estimer le profil social des utilisateurs, d’affiner la périodisation de son déclin, et d’expliquer le déclassement d’un processus cognitif par l’évolution des techniques de gestion de l’information.
L’analyse prosopographique des auteurs et professeurs de l’art de la mémoire, en effet, met en lumière la diversité des profils : si les professeurs et prédicateurs se taillent la part du lion – une même personne pouvant cumuler les deux fonctions, surtout chez les jésuites et les franciscains-, les médecins diffusent également le savoir mnémotechnique jusque dans les années 1650. La mnémotechnie oratoire décline lentement dans la deuxième moitié du xviie siècle, tandis que les pédagogues, dans ou hors des institutions, adaptent les techniques à leur clientèle. L’analyse des marques de possessions et marginalia sur les exemplaires des manuels vernaculaires conforte l’étude prosopographique, tout en révélant l’agency de lecteurs qui n’hésitent pas à adapter les techniques à leurs besoins.
Le contenu technique est ainsi transformé par la circulation du savoir. L’étude de sources écrites en une dizaine de langues permet d’analyser finement les effets des traductions et des adaptations locales sur le contenu technique. Par exemple, une technique destinée à bâtir des recueils mentaux de lieux communs, diffusée par des catholiques (y compris des jésuites), est adaptée en terres protestantes pour mémoriser la Bible.
Cette recherche prend donc au sérieux l’appel de Lucien Febvre à étudier l’outillage mental des sociétés passées. Mais, quatre-vingts ans après la publication du Problème de l’incroyance au xvie siècle, cette tâche est formulée différemment : ici, c’est la place de la mémorisation dans l’écosystème cognitif qui est étudiée. Autrement dit, l’évolution de l’art de la mémoire est analysée dans ses interactions avec d’autres processus cognitifs (la réalisation d’exercices spirituels, l’apprentissage des langues, la construction de discours) et en tant qu’élément de la scripturalité (literacy) moderne. Seul ce contexte permet de comprendre les innovations techniques, mais également l’irrésistible déclin de pratiques rendues obsolètes par de nouveaux usages de l’écrit.
Publié le 23 mars 2021, mis a jour le vendredi 25 octobre 2024